Interfaces culturelles et linguistiques sur internet (1)
Les premières formes de textes dans son acception historique, étaient une transposition des langues orales, transcrivant au plus près la linéarité et le flux du discours. Cette forme textuelle suit une progression linéaire et repose sur une logique séquentielle.
Aussi, pour comprendre de quoi parle un texte, il est nécessaire de lire de manière linéaire les mots, les phrases. Ce n’est qu’après avoir tout lu qu’on a une vision complète du texte. Un sommaire, un plan, un index peuvent nous orienter dans l’appréhension globale du texte, mais cette orientation reste interne au texte. Néanmoins, comme le dit Anne Cauquelin « citation et notes de bas de page, toutes deux pratiquées dans l’écriture avec ou sans traitement de texte (…) se tiennent du côté de l’interaction, du côté du possible. »
La notion d’hypertexte, initiée par le philosophe Ted Nelson en 1965 qui la définissait comme « une forme d’écriture non séquentielle », participe aussi de cette fragmentation du texte par la liaison entre différents documents hétérogènes. Cependant, l’hypertexte rend la lecture plus complexe, car il n’y a plus de plan ordonné mais bien une multitude de fragments. De là découle une désorientation de l’internaute qui perd le lien entre ce qui est affiché sur son écran et le but initial de sa recherche. Cette désorientation est due à une limitation de la mémoire à court terme qui ne peut répondre à cette surcharge cognitive. Le récepteur est amené, à partir des liens hypertextes, à devoir structurer tous les champs possibles des parcours pour une reconfiguration du sens, tout comme le producteur de langage sur internet est aussi producteur d’un réseau d’éléments en interaction.
En parallèle au texte linéaire, s’est développée une longue tradition en sciences humaines de présentation de concepts sous forme d’arbre, de diagramme, de logigramme, de tableau, qui va de l’arbre de Porphyre au IIIe siècle av. J.-C. jusqu’à l’usage des tableaux dans l’analyse structurale par Lévi-Strauss.
Par exemple, la taxinomie des êtres vivants sous forme graphique arborescente est plus rapidement comprise et exploitée que sous sa forme purement textuelle. L’information véhiculée par les deux représentations est identique, mais la première, graphique, minimise et surtout optimise l’effort cognitif. En philosophie du langage et en linguistique, la notion de monosémie désigne la propriété qu’a un terme signifiant (mot, symbole…) de n’avoir qu’un seul sens. Cette propriété n’appartient pas habituellement aux signes linguistiques. En effet, leurs valeurs sont différentielles, c’est-à-dire qu’elles sont relative aux rapports que les signes entretiennent dans la chaîne linguistique, le terme isolé présente donc une polysémie de sens.
Par opposition, le langage graphique peut être considéré comme monosémique. Il ne se prête pas facilement à l’interprétation quant à la nature de ses relations et de son parcours logique. Le langage graphique, comme le langage géométrique, est universel. Il peut aider en partie à surmonter les difficultés que sont les barrières des langues nationales, tout en exprimant aussi bien la quantité (par des secteurs) que la qualité (par des alignements).
Un exemple nous est donné par Mireille Betrancourt «“Pierre est plus grand que Paul, Jean est plus petit que Paul”, les relations de taille entre Pierre et Jean doivent être inférées, mais elles sont directement perceptibles dans un schéma figurant les trois personnages. » De fait, il est beaucoup plus facile de traiter des informations relationnelles entre éléments à partir d’une visualisation qu’à partir d’un texte, que ces relations soient réellement ou métaphoriquement spatiales. En effet, alors que ces informations doivent être déduites d’une description verbale, elles sont directement perçues dans une visualisation.
On voit bien que les schémas ou diagrammes proposent une articulation et une relation entre les mots, les concepts ou les idées par distinction ou par similitude et font ainsi émerger un réseau de relations par ressemblance ou proximité. Le graphique ou schéma s’impose donc comme règle de réécriture dans un souci d’économie de langage. La monosémie du graphique impose d’emblée une réduction de la polysémie des mots contenue dans un environnement graphique en les orientant et en les reliant dans une structure graphique.