ImaGIFnation

illustration/collage d'images de Muybridge et de glitch : Franck Le Dortz

Le format GIF pour Graphics Interchange Format « format d’échange d’images » à été mis au point par CompuServe le 23 mars 1987 pour permettre le téléchargement d’images en couleur. Ce format à la particularité de pouvoir contenir plusieurs images qui peuvent tourner en boucle à des vitesses de défilements variables.

Dans les débuts d’internet, le format GIF fut beaucoup utilisé pour enrichir les sites un peu aride d’un point de vue esthétique. Ce format incarnait un imaginaire et une vision de l’internet très fort. Pour reprendre les thèses de Pierre Musso, les objets techniques produisent des fictions, et le format GIF par un mouvement répété le plus souvent en boucle, incarne dans un sens rhétorique, une tautologie de l’internet comme espace en devenir. En effet l’animation des images se présentent déjà comme un scénario, certes réduit mais mieux à même de produire par effet de répétition, la même idée sous plusieurs formes différentes.

Les GIF animés se déploient dans deux directions, la première direction traverse la notion du temps et la seconde explore la notion d’espace. Nous verrons que ces deux formes remette à jour des dispositifs visuels anciens.
La notion de temps est très présente dans les GIF animés, elle se déploie sur quelques images qui tournent en boucle. Si les raccords sont bien exécutés, l’animation prend un sens presque métaphysique, elle tourne indéfiniment et potentiellement elle ne peut s’arrêter. L’agencement des différentes images peut être considéré comme un montage cinématographique avec les mêmes techniques dont l’effet Koulechov. En 1922, le cinéaste russe Lev Koulechov fait une expérience de psychologie cognitive, il filme l’image d’un visage neutre (celui de l’acteur russe Ivan Mousjoukine) et insère deux plans de manière successifs (celui d’un enfant mort et celui d’une jeune femme lascive). Cette expérience nous montre la façon dont une image peut influer sémantiquement sur les images qui l’entourent et amène le spectateur à interpréter les images dans leurs successions et non dans leurs dépendances. Cette technique est encore utilisée dans l’industrie cinématographique pour donner une intention dramaturgique à des séquences de film. Il s’agit bien ici d’introduire de la différence dans la répétition pour simplifier la pensé de Gilles Deleuze. La différence se manifeste pas effet de contagion dans la répétition d’images en boucle.

La seconde nature des GIF animés se manifeste de deux façons, d’une part par la décomposition du mouvement d’un objet dans l’espace et d’autre part par l’alternance du point de vue. La décomposition du mouvement est dans l’histoire de la photographie, une très ancienne question et celle-ci à trouvée des solutions avec deux inventeurs. Il s’agit pour le premier du physiologiste français Étienne-Jules Marey et de la chronophotographie qui permet à l’aide d’un obturateur rotatif d’exposée plusieurs fois une plaque photographique. Une autre technique utilisée par Eadweard Muybridge à l’avantage de décomposer le mouvement à l’aide de plusieurs appareils photographiques et d’obtenir ainsi plusieurs vues d’un même sujet en mouvement. L’avantage du procédé de Muybridge au moment de la prise permet surtout de reconstituer le mouvement par projection des différentes prises de vues. Muybridge reste bien le précurseur du cinéma avec son zoopraxiscope, considéré comme le premier dispositif de visualisation cinématographique. Même si le principe de l’illusion du mouvement fondé sur la persistance rétinienne à d’abord été inventé par le belge Joseph Plateau en 1832 avec son phénakistiscope et repris en 1834 par William George Horner avec son zootrope puis enfin par Émile Reynaud en 1877 avec son praxinoscope.
L’alternance du point de vue est réalisée par la technique de la stéréoscopie qui par un décalage des prises de vue permet d’obtenir un effet de profondeur. David Brewster applique le principe de la stéréoscopie à la photographie en 1844. L’alternance de deux images produits un effet de relief assez saisissant. La New York Public Library Labs nous fait revivre ces effets d’optiques sur son site Stereogranimator et sa collections de 40 000 stéréographes. Les animations GIF nous donnent à voir ces images doubles avec la mise en place d’un dispositif qui permet de positionner le point central à partir duquel les images effectuerons leurs décalages.

De format modeste, le GIF nous ramènent à un folklore digital apparue dans les années 90 avec l’avènement du web pour reprendre l’expression d’Olia Lialina et Dragan Espenschied. Ce format est bien la continuité technique et esthétique de la photographie et du cinéma et sa facilité de mise en œuvre en a fait un médium populaire à l’ère du numérique. 25 ans après son apparition, certains artistes tentent malgré tous de redonner ses lettres de noblesse au GIF animé. Il suffit de voir les extraordinaires GIF de l’illustrateur et graphiste américain Dain Fagerholm ou de la photographe Jamie.

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