Cartographie participative
« L’homme est non seulement un animal social, mais un animal qui ne peut s’individualiser que dans la société », écrivait Karl Marx. Pour s’accomplir, l’homme doit s’associer à ses semblables pour faire société, structurer ses relations à travers diverses communautés sur un territoire donné.
Si le monde vécu peut être assimilé d’abord à notre relation à l’espace, il constitue pour Kant le fondement de toute les expériences extérieures possibles. C’est donc par celui-ci que se manifestent aussi toutes nos interactions sociales, économiques. Ces constructions relèvent d’un espace commun, où chacun se constitue sa sphère privée relevant d’une part intime. Le corps, dans ce qu’il a de plus intime, est aussi un espace vécu et celui-ci est partie prenante dans les formes organisationnelles (institution, entreprise, association).
« La carte n’est pas le territoire » est une phrase empruntée au fondateur de la « sémantique générale », Alfred Korzybski. Pourtant, il semblerait qu’avec les dispositifs numériques, on veuille renverser cette tendance. En effet, on ne lit plus les cartes une fois celles-ci achevées, on se les approprie en participant à sa construction et sa lecture se fait en temps réel. Il s’agit de façon chronologique d’appréhender les évènements dans un espace topologique mieux à même de relier, de connecter les expériences, les réseaux sociaux. Cartographier ce que l’on découvre (le monde), cartographier ce que l’on fait (chemin de fer, route, métro…), cartographier et montrer l’invisible (électricité, internet…). Ce sont des flux de données, sans commencement ni fin, qui viennent nourrir le territoire en le façonnant.
Les premières expériences de cartographie participative sont dues à des artistes, on pense ici à Karen O’Rourke avec son site «Une carte plus grande que le territoire» en 2001. Mais c’est vraiment avec le projet OpenStreetMap fondé en 2004 que la carte collaborative prend son ampleur sous le nom de néogéographie. La géographie collaborative comme vecteur d’informations en temps réel et l’usage de la géolocalisation favorisent l’émergence de ce type de carte pour la création de points d’intérêt, d’itinéraires, de lieux à partager.
Une cartographie en ligne éditée et réalisée par la municipalité et les habitants de Plouarzel, dans le Finistère, a permis de redessiner la carte de la commune de façon plus convaincante que Google Maps ou même IGN Géoportail. Ce travail, effectué en mode collaboratif, permet d’aboutir à un résultat plus précis. L’autre intérêt de ce type de démarche est bien sûr l’appropriation et la compréhension du territoire par ses habitants, et cela a surtout permis de créer du lien social entre les nouveaux et les anciens habitants.
La cartographie participative est un espace de médiation pour de futurs projets. La carte permet une vision globale et partagée de l’espace, et devient ainsi elle-même un espace où se joue un dialogue entre les habitants mais aussi les habitants et les élus d’un même territoire. Ainsi, on voit apparaître des outils de gestion prêts à l’emploi, qui permettent aux citoyens de soumettre des requêtes à leur mairie au moyen de cartes participatives. Les habitants ont l’expertise d’usage de leur urbanisme, ils veulent donc participer au débat public, et la carte est un bon moyen de se faire entendre et de formaliser sa pensée sur des problèmes d’urbanisme.
L’agglomération de Bordeaux, par son site « la cub » organisé par thématique, présente son projet métropolitain et ses différentes étapes, mais aussi présente les projets de l’agglomération au travers d’un dispositif en 3 dimensions, où l’habitant peut participer aux concertations sur les zones à projet. De plus, la Communauté Urbaine de Bordeaux a sollicité un grand nombre d’acteurs de l’agglomération, pour qu’ils participent à la démarche Bordeaux Métropole 3.0. Se projeter dans vingt ans, imaginer et décrire la métropole souhaitée pour 2030 : voici l’exercice complexe, mais stimulant, auquel se sont livrés plus de cinquante contributeurs, tant des communes que des acteurs de la société civile (associations, entreprises, instances de démocratie participative…), auxquels s’ajoutent des agents de la Cub, un panel d’experts internationaux, sans oublier les scolaires et les habitants. L’adoption massive des smartphones et de leurs possibilités donne toute sa dimension au recoupement des flux d’information. Les applications de réalité augmentée disponibles sur smartphone permettent ensuite sur le terrain de vérifier les données ainsi produites. Il y a donc le territoire numérique qui vient se superposer à la réalité, créant ainsi un espace augmenté. Et c’est peut-être là le danger, dans la présentation du projet territorial, comme le rappelle la philosophe Anne Cauquelin « Quand ce qui nous est présenté au titre d’une image, d’une simulation, ou d’une fiction, est confronté à la réalité, on peut vraiment se demander alors quels sont les critères de présence, et quels degré ou nuance d’actualité sont appelés à comparaître comme témoin de réalité».